Selon
que vous soyez nostalgique, procrastinateur ou optimiste, vous soupirez
sur le temps qui passe, tempêtez contre le temps qui vous a manqué pour
écrire vos vœux ou vous réjouissez d’avoir encore du temps pour, cette
fois, rattraper le temps perdu l’année dernière। Et, comme chacun, vous
espérez, en regardant droit devant, vers le futur, que cette année sera
meilleure.
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Au musée d'Auckland, les sculptures précieuses du He Taonga Maori. Le passé, le présent et le futur du peuple maori. |
Les
Maori ne sont pas seuls à penser ainsi. Dans les Andes, une petite
société, les Aymara partagent la même conception. Ainsi que les
Malgaches, les Toba en Bolivie, et les Indiens de Taos Pueblo au
Nouveau-Mexique, qui, pour désigner leur manière de regarder vers le
futur, jettent un œil derrière leur épaule gauche.
Dans
ces sociétés, ce qui importe, c’est la perception que l’on a d’un
phénomène, et non pas l’idée de linéarité qui est propre à nous,
Occidentaux.
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En
apparence… Car les physiciens et les philosophes s’accordent pour dire
que le mot « temps » ne signifie rien de ce qu’il est censé exprimer. Et
dès que l’on veut en saisir le contenu, celui-ci se fond dans les
brumes. Selon un spécialiste du temps en physique, Etienne Klein, les
physiciens en ont fait un concept qu’ils ont su utiliser mais qu’ils
sont bien incapables de définir.
Et si le temps était une invention de l’Occident ? Au
fond, ce terme n’existait pas dans la Chine classique. Il a fallu
inventer une traduction lorsque les Chinois ont rencontré les premiers
Européens qui s’aventuraient dans l’Empire du Milieu au 19e siècle.
Pour
les Chinois, la réalité c’était la durée, les saisons… Mais pas ce
curieux concept. Cette donnée, considérée comme extérieure à nous et que
l’on se donne l’illusion de contrôler.
Pour
comprendre cette différence tournons-nous vers la Grèce antique (ou
comme diraient les Maori regardons devant…). Les philosophes de
l’Antiquité, pour définir la réalité, ont fait un choix : passer par la
perception, par le regard. Le monde est ainsi devenu un objet de
connaissance. Et il l’est resté. Un objet à analyser et à comprendre,
par des classifications, des catégories… Ce qui a produit une science et
une technologie prodigieuse. Ce qui a conduit aussi à tout séparer en
entités isolées, la nature, la forme, le temps, Dieu, la matière,
l’être…
Alors qu’en chinois, le mot « être » n’existe pas non plus. En
Chine on « n’est » pas en soi. On n’existe que par sa relation à
l’autre, au groupe, au cosmos. Cent ans de Révolution et de volonté de
faire table rase du passé n’y ont pas changé grand chose. On connaît
l’anecdote des contrats signés en Chine par des hommes d’affaires
français. Ils croient l’affaire bouclée, reviennent le lendemain pour
saluer leurs homologues chinois, heureux de reprendre leur avion, et
hop, on leur annonce qu’il va falloir tout réétudier
Logique,
ce contrat était le reflet d’un moment. Si de nouveaux événements
interviennent, le contrat doit être transformé. Il n’est pas coulé dans
le marbre comme une sculpture grecque. Il appartient au monde flottant
des estampes chinoises, où l’on sait bien que « seule l’impermanence est
permanente ».
Car les Chinois, eux, ont fondé leur conception du monde à partir de la respiration. Quel rapport direz-vous avec le temps et avec cette affaire de contrat flottant ?
Et
bien, si l’on considère la réalité par cette inspiration et cette
expiration, ce « dedans-dehors », elle n’est pas extérieure à nous. Nous
sommes au contraire totalement lié à tout ce qui constitue le monde par
ce souffle qui est en même temps une énergie, le chi. Tout s’y
engendre, les humains, les paysages, les montagnes, l’eau… dans
l’alternance, l’équilibre et la relation.
Toute chose n’existe que par son contraire selon le principe du yin et du yang, du
vide et du plein, du mouvement et du repos… Le chi, ce flux vital,
circule ainsi de manière cyclique à travers un réseau continu de
relations entre le tout (le macrocosme de l’univers) et les parties (le
microcosme humain)… Dans cette perception du monde, les processus sont
continus et, bien sûr, la transformation permanente… Et incontrôlable.